La plus grande usine de sucre d'Europe et un méthaniseur
s'installeraient sur le secteur de Moulineaux Grand-Couronne
POURQUOI NOUS OPPOSONS-NOUS À CE PROJET DE SUCRERIE
GÉANTE À MOULINEAUX-GRAND-COURONNE
Notre association est implantée sur les communes de Moulineaux, La Bouille, Sahurs, Caumont,
toutes quatre situées en bord de Seine, dans la Boucle de Roumare. Depuis 2005, elle se bat pour
préserver l’environnement et les paysages de cette boucle de Roumare, site classé pour son
caractère exceptionnel mais menacé par l’extension portuaire*.
Haropa a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt en 2020 sur 50 ha de friches industrielles sur
Moulineaux – Grand-Couronne (38 ha Renault CKD+ 12 ha Novandie).
Un industriel de Dubaï, la société AKS, a été retenu pour s’installer, non seulement sur ces 50 ha
mais aussi sur les 25 ha adjacents, actuellement naturels en aval, vers La Bouille (voir fig.1 & 2), soit
une emprise en bord de Seine colossale de 75 hectares et qui est totalement hors d’échelle pour
qui connaît le site.
Ce projet, qui a reçu le soutien de l’État, de la Région Normandie et
de la Métropole Rouen Normandie, est une sucrerie géante, la plus
grande d’Europe, pour produire du sucre blanc de betterave, raffiné et
destiné à l’exportation, ainsi que du méthane.
CE PROJET EST UNE ABERRATION À PLUS D’UN TITRE !
Figure 1 : Emprise sucrerie - 75 ha
Figure 2 : vue sur les 25 ha aval du projet
*Article 2
des statuts Cette association lutte contre tous projets de toute nature
ayant des conséquences négatives pour
l'environnement, les milieux naturels (et la biodiversité qui y est
associée) ainsi que pour la préservation de la qualité de vie
existante des résidents des communes de Sahurs, La Bouille, Moulineaux
et Caumont au sein de ce site naturel et
touristique classé (nuisances visuelles, sonores, pollution
atmosphérique, cadre de vie...)
Elle mène toutes actions et interventions pour faire respecter les lois
et règlements sur les espèces protégées, les
périmètres sensibles, la protection de la nature, l'urbanisme, le
patrimoine naturel, architectural et paysager dans le cadre
de la législation en vigueur. Elle contribue à l'éducation populaire en
matière d'étude et de protection de la nature
Au sommaire
1 - Les méga nuisances d’une méga sucrerie
2 - La Boucle de Roumare, un site classé
3 - Implanter une sucrerie loin des champs de betteraves est un non-sens
4 - Le problème de l’eau, les risques industriels et d’inondation
5 - À rebours des politiques agricoles du « monde d’après »
6 - Les sucreries françaises en danger de mort
7 - AKS : un groupe industriel qui pose question
8 - Le bioéthanol une solution qui n’en est pas une
9 - Les vraies fausses démarches vertueuses
10 - Les problèmes environnementaux liés à la culture de la betterave
11 - Les autorisations administratives
12 - Conclusion
13 - Paysage et patrimoine de la boucle de Roumare
14 - Process industriel
1 - Les méga nuisances d’une méga sucrerie
Une sucrerie émet des fumées, rejette des eaux usées très chargées en matières organiques et en
matières en suspension ainsi que des gaz malodorants issus de la fermentation et de la
méthanisation, fait beaucoup de bruit et fonctionne 24h/24 pendant la campagne sucrière, avec un
ballet incessant de camions. Et pour cette méga sucrerie, ces aspects seraient 3 à 4 fois plus
importants que pour une sucrerie française telle que celles d’Etrepagny (27) et de Fontaine le Dun
(76) dans notre région.
Les riverains de cette installation verraient leur cadre de vie être extrêmement dégradé et subiraient
tous les impacts négatifs que peut avoir un environnement bruyant et pollué sur leur santé. Les
habitations les plus proches se trouvent à 200 m du site et l’école de Moulineaux à 250 m. Est-il
nécessaire de rappeler qu’il est estimé que la pollution de l’air ambiant est responsable de 40 000
morts par an en France ?
Concernant le bruit sur le site du ministère de l’Écologie on peut lire ceci :
« Les impacts sanitaires de l’exposition au bruit sont divers, comprenant :
- L’impact sur l’audition : effets auditifs comme la surdité, les acouphènes, l'hyperacousie
(tolérance au bruit anormalement basse).
- Les effets extra-auditifs dits subjectifs : gêne, effets du bruit sur les attitudes et le
comportement social.
- Les effets extra-auditifs dits objectifs : troubles du sommeil (camions 24h/24,7j/7), effets sur
le système endocrinien, sur le système cardio-vasculaire, sur le système immunitaire, sur les
apprentissages et sur la santé mentale. »
« Certaines
populations présentent une vulnérabilité particulière à l’exposition au
bruit : enfants en milieu scolaire en phase d’apprentissage,
travailleurs exposés simultanément à différents types de nuisances ou
substances, personnes âgées et personnes touchées par une déficience
auditive, appareillées ou non. »
Pour
limiter les nuisances et les transports, les sucreries se sont depuis
toujours implantées près des champs de betteraves et loin des
habitations. C’est une toute autre stratégie choisie et assumée par
l’industriel de Dubaï. « Au lieu de construire une sucrerie dans les champs de betteraves, AKS
sécurise sa filière logistique aval en s’implantant dans un port… » lit-on dans la presse.
Donc, « pour sécuriser sa filière logistique aval » l’industriel préfère s’implanter au plus près de
centaines d’habitations, dans l’agglomération de Rouen, et loin des champs de betteraves ! Et peu
lui importe les nuisances causées aux riverains de l’usine, aux habitants des villes et villages
traversés par les camions sur plus de 100 km à la ronde et à toute l’agglomération rouennaise qui
sera à portée des odeurs nauséabondes.
Les conseils municipaux des communes riveraines de Moulineaux, Sahurs,
Hautot sur Seine et Val de la Haye ont déjà voté des motions
d’opposition au projet. De plus, le conseil municipal de Saint-Pierre-de-Manneville
indique qu’il « sera très attentif à tout
projet susceptible d’impacter durablement la population, le paysage,
l’environnement et plus globalement la qualité de vie des habitants de
la commune et des communes voisines ». Plus récemment, lors de la
réunion qui s'est tenue à Moulineaux le 18 mai 2022, se sont Madame la
Maire de Grand-Couronne (Julie Lesage) et Monsieur le Maire de La
Bouille (Jacques Meng) qui se sont prononcés publiquement contre ce
projet.
Aussi, des candidats à la députation de la 4ème circonscription de la
Seine-Maritime (Caudebec-lès-Elbeuf, Elbeuf, Grand-Couronne, Le
Grand-Quevilly, Maromme) s'opposent au projet, nous prenons note...
Alors que de nombreux efforts sont faits pour améliorer le cadre de vie des rouennais et urbains
riverains, notamment l’interface ville-port, on traiterait alors les habitants des communes rurales
comme des citoyens de seconde zone !
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2 - La Boucle de Roumare, un site classé référence métropolitaine
Un tel complexe industriel (fig.3 & 4) est composé de bâtiments de 30 m de haut, d’un four à chaux d’une
cinquantaine de mètres, de cheminée(s) de 70 m et de silos de 50 m de haut. Ce gigantesque
complexe industriel défigurerait le paysage de la Boucle de Roumare, site classé en 2013 pour le
caractère exceptionnel de ses paysages, au pied du château Robert le Diable pour lequel la
Métropole de Rouen Normandie a récemment beaucoup investi afin d’en faire une attraction phare.
Cette même Métropole qui a également investi plusieurs millions d’euros il y a quelques années pour
le chemin de halage qui fait face au site et qui est très prisé des promeneurs, touristes et cyclistes (et
fait partie de l’itinéraire « La Seine à vélo » (www.laseineavelo.fr).
Figure 3 : Vue depuis le chemin de halage
Figure 4 : Le village de Moulineaux (950 hab.) en balcon sur le versant sera en vis-à-vis de l’usine
couvrant 75 ha (emprise détourée en Jaune).
Ce complexe serait également situé en face du château de Trémauville et nombre d’autres
monuments inscrits et classés aux Monuments Historiques (fig.5), aux portes du magnifique village
de La Bouille candidat au concours du village préféré des Français 2022. Ne serait-ce pas là un déni
manifeste de la protection qu’est censée représenter ces classements ?
Figure 5 : Carte des monuments classés
Par ailleurs, la Métropole mène des actions pour limiter la pollution lumineuse nocturne
qui provoque de nombreuses perturbations notamment pour la faune et la
flore. Or ce site industriel sera forcément éclairé 24h/24 et se trouve
entre un corridor écologique et un site Natura 2000 (sur la rive
salhucienne) (fig.6).
Les communes de Sahurs, Hautot sur Seine et La Bouille font également
partie du Parc Naturel
Régional des Boucles de la Seine Normande.
Figure 6 : Carte de zonage
3 - Une sucrerie loin des champs de betteraves, une absurdité économique et
écologique
La betterave est constituée à 75% d’eau. À l’heure où le bilan carbone doit être une préoccupation
majeure des industriels, 4,5 millions de tonnes de betteraves devraient être acheminées sur le site !
Des chiffres vertigineux ! La mobilisation des 50.000 hectares nécessaires à cette production de
betteraves amènerait à aller chercher ces betteraves jusqu’à 100 km, voire 150 km de la sucrerie.
Les sucreries existantes sont toutes implantées au plus près des champs, pour limiter les transports
et également parce que la teneur en sucre des betteraves diminue rapidement avec le temps. La
distance moyenne de transport jusqu’à la sucrerie est en France de 32 km. On sera bien loin de cette
logique !
Ce seraient des norias de camions chargés à 75% d’eau qui achemineraient les betteraves pendant
les 4 mois de la campagne sucrière : 1 à 2 semi-remorques par minute, pendant 20 à 24 h par jour !
Et l’intention affichée par l’industriel d’utiliser le rail pour 60% de la production ne tient pas debout.
Le réseau ferré est bien insuffisant pour ce faire et les ruptures de charges entre le champ, la gare la
plus proche, et l’usine ne sont pas compatibles avec la nécessité d’un acheminement rapide de la
betterave à la sucrerie. Celles existantes ne suffiraient pas et créer de nouvelles voies ferrées pour
desservir des champs de betteraves est totalement irréaliste sur le plan économique ! A titre
d’exemple la sucrerie d’Etrépagny, qui a pourtant une voie ferrée dédiée, n’utilise son infrastructure
que pour le transport du sucre, l’acheminement des betteraves étant trop long et préjudiciable
financièrement.
À ces flux rentrants, il faudra ajouter les retours des co-produits de la sucrerie vers les zones
agricoles : peut être les pulpes issues de l’opération de diffusion du sucre et destinées à
l’alimentation du bétail, mais principalement que tous les co-produits qui enrichissent les sols, à
savoir les terres (450 000 T), les écumes (150 000 T), les vinasses issues de la méthanisation et les
boues d’épuration.
Tous ces transports seront sources de pollution, de bruit jour et nuit, de consommation d’énergie
fossile, et induiront des coûts très importants qui pèseront lourd dans le bilan financier de la
sucrerie.
4 - Le problème de l’eau, les risques industriels et d’inondation
Une sucrerie génère une quantité astronomique d’eau malodorante et difficile à traiter (deux
millions de m3 pour une telle production, 20.000 m3 /jour) soit par station d’épuration, soit en
lagunage (il faudrait 200 ha), soit par épandage sur les champs (les eaux seraient évacuées à nouveau
par des norias de camions ?).
Deux rivières traversent le site et 25 hectares nécessaires à la construction de ce complexe se
trouvent dans le Périmètre de Protection Rapproché des captages d’eau de Moulineaux qui
alimentent un tiers de l’agglomération rouennaise (fig. 7). Le risque de pollution de la Seine et du captage d’eau potable est réel !
Figure 7 : Carte rivières, captages et zone de protection
En avril 2020 sur un site sucrier du Nord à Escaudoeuvres (59) la rupture d’une digue de bassin de
décantation a créé ce qui a été qualifié de « plus gros incident écologique depuis 20 ans » (pollution
du canal de l’Escaut).
Par ailleurs, une partie du site et la voie d’accès se trouvent en zone inondable. Le tout récent
rapport du GIEC confirme la prévision d’une hausse importante du niveau des océans et d’une
augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements météorologiques extrêmes. La
conjugaison de ces deux phénomènes accroîtra fortement le risque d’inondation, notamment dans
les zones estuariennes soumises aux marées comme celle de la Seine jusqu’à Poses.
Selon une carte interactive mise en ligne par l’ONG étasunienne Climate Central, la zone industrielle
de Grand Couronne/Moulineaux pourrait être en grande partie sous les eaux en 2050.
Il faut également savoir que les silos à sucre sont hautement explosifs car c'est un produit très
pulvérulent. Voir la liste des accidents, dont une explosion au silo de sucre de Rouen en 1998.
Et on installerait un tel site près des riverains, à quelques centaines de mètres des écoles
maternelles et élémentaires de Moulineaux ?!
5 - À rebours des politiques agricoles du « monde d’après »
Ce projet est en totale contradiction avec la politique agricole de filières courtes, de production saine
et locale pour satisfaire les besoins de la population proche. Les 800 000 t de sucre produits sont
exclusivement destinées à l’export ! On connaît bien par ailleurs les effets dévastateurs sur la santé
de la surconsommation de sucre ultra raffiné de nos sociétés « modernes ».
Plusieurs études montrent ces dernières années la baisse inquiétante du niveau d’indépendance
alimentaire de la France. N’est-ce pas plus responsable d’œuvrer à retrouver une souveraineté
alimentaire (dans tous les secteurs de l’agriculture) plutôt que de produire du sucre de betterave de
façon totalement excédentaire à nos besoins ?
Les 50 000 ha de terres nécessaires à alimenter une telle usine ne pourraient-ils pas être utilisés pour
limiter notre dépendance aux importations des certaines denrées comme c’est le cas pour les fruits
et les légumes ?
6 - Les sucreries françaises en danger
Il
a été dit et répété lors de la conférence de presse de
présentation de la candidature AKS du 17 mars que l’industriel de Dubaï
créerait 300 emplois. C’est l’argument choc ! Mais combien pourrait-il
en détruire dans les sucreries existantes et les communes alentour ?
Plusieurs sucreries françaises à taille humaine ont fermé ces dernières années. Ce projet n’est-il pas
une menace manifeste pour la survie des 21 sucreries restantes en France ? Depuis 2017 et la fin
des quotas de production dans l’Union européenne, l’industrie sucrière française est en crise
profonde en raison d’une forte surproduction européenne et mondiale, et également à cause des
périodes de sécheresse toujours plus fréquentes et intenses du fait du changement climatique. Les
sucreries de Nassandres dans l’Eure et de Cagny dans le Calvados ont toutes deux fermé en 2020. Le
prix moyen de la tonne de sucre s’est effondré de 500 € en moyenne en 2017 à 290 € la tonne en
2019. Le Brésil, l’Inde, la Thaïlande et d’autres pays à bas coûts de main-d’œuvre inondent le
marché mondial du sucre. Le Brésil et l’Inde produisent à eux deux 73% du sucre mondial. Dans ces
conditions, comment l’implantation d’une sucrerie géante se justifie-t-elle en France et comment
l’équilibre économique va-t-il pouvoir être trouvé en préservant les autres sucreries encore en
activité ? Voir aussi l'avis du Directeur Général du groupe de sucreries Cristal Union publié dans la revue l'Union.
Les propos suivants du directeur du port de Rouen sont repris dans la presse : « Le sucre produit sera
entièrement destiné à l’export vers l’Afrique du Nord, le sud de l’Europe et le Royaume Uni et ne
viendra pas en concurrence de la filière sucrière existante ». C’est totalement faux ! Malgré ses
difficultés, l’industrie sucrière française contribue positivement à la balance commerciale du pays.
Sur la campagne sucrière 2019-2020, les exportations nettes (exportations-importations) ont
représenté 45% de la production française de sucre. Le sucre est principalement exporté vers des
pays de l’UE : Italie, Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, et aussi en Afrique de l’Ouest, en Afrique du
Nord et au Moyen Orient. On retrouve exactement les pays cibles de l’industriel de Dubaï, qui
entrerait donc en concurrence directe avec les sucreries françaises existantes.
Le bouleversement des équilibres entre producteurs et sucreries serait très impactant sachant qu’il
n’existe pas 50 000 ha de surface agricole supplémentaire pour la culture betteravière. Cette
implantation serait donc en concurrence avec nos sucreries à la fois pour l’approvisionnement et
pour l’export. Sachant que le nombre d’employés varie très peu en fonction de la capacité de
production, la conséquence impliquerait une destruction d’emplois directs et indirects pour les
usines et collectivités concernées. Il pourrait y avoir bien plus de licenciements que d’emplois créés
et s’en suivrait un déséquilibre économique et social dans les « communes sucrières ».
7 - AKS : un groupe industriel qui pose question
Le profil de l’industriel dubaïote AKS pose question. L’entreprise familiale créée en 1992 ne possède
à l’heure actuelle aucune sucrerie en activité, mais seulement une raffinerie de sucre à Dubaï. Elle y
importe du sucre brut du Brésil, d’Inde, d’Australie, de Thaïlande, etc., le raffine et fournit le marché
du Moyen-Orient en sucre raffiné blanc. C’est à ses dires la plus grande raffinerie du monde…
Depuis une dizaine d’années, l’industriel a le projet de la plus grande sucrerie de betteraves du
monde…en Égypte, à Al Minya, ville située à 250 km au sud du Caire. La mise en service a plusieurs
fois été retardée, notamment en raison de conflits causés par les gigantesques droits d’eau
nécessaires à l’irrigation des champs de betteraves, dans un pays où les ressources en eau sont sous
tension, notamment en raison du changement climatique, de l’accroissement de la population, du
développement de l’agriculture et d’un grand barrage réalisé récemment à l’amont du Nil, en
Éthiopie. Trois cents forages doivent être réalisés pour pomper l’eau de la nappe alluviale du Nil pour
irriguer les betteraves destinées à la future sucrerie. Aux dernières nouvelles, l’usine devrait entrer
en activité en 2022. À suivre… Nous sommes curieux de savoir comment les betteraves poussent en
Égypte, quand on constate en France que cette culture doit, pour des raisons climatiques, se limiter
au nord de la Loire, voire maintenant au nord de la Seine du fait de l’évolution du climat…
AKS semble peu préoccupé de développement durable ni de modèle économique raisonné et
respectueux de l’environnement au sens large.
Et maintenant cette création de la plus grande sucrerie d’Europe ! Moulineaux est la troisième
tentative d’implantation, après celles au Royaume-Uni, dans le Yorkshire, en 2017, puis celle à
Mérida, dans le sud de l’Espagne. La profession sucrière de la région de Mérida avait considéré que le
projet n’était pas viable. La empresa Azucarera ve el proyecto de Mérida « inviable » | Hoy
« Quiconque s’y connait en agronomie sait qu’il faut de nombreuses années pour obtenir un
développement durable de la culture de la betterave, et en Extrémadure (région de Mérida), cela fait
vingt ans qu’elle ne se cultive plus. »
Ceci dit, l’industriel n’a pas renoncé à son projet espagnol et avance actuellement avec deux projets
de méga sucreries, l’une espagnole, l’autre française. On peut lire dans la presse ses récents propos :
« Le projet de Mérida continue…Il n’est pas incompatible d’avoir deux sucreries : l’une en Espagne,
l’autre en France. »
Laquelle de ces deux méga sucreries sera la plus grande d’Europe ? Le suspense est insoutenable,
et le délire est total !
Quelle garantie a-t-on de ne pas voir à Moulineaux ce que l’industriel AKS fait à Dubaï, et a prévu de
faire en Espagne : importer du sucre brut à bas coût, le raffiner et inonder le marché européen de
sucre blanc à un prix défiant toute la concurrence des sucreries existantes ?
L’implantation de l’usine en zone portuaire prendrait alors tout son sens…
Et, pour compléter le tableau, on apprend dans la presse anglaise que la filiale d’AKS qui réalise les
investissements à l’étranger,
la société Al Khaleej International, est domiciliée dans les îles Caïman,
célèbre paradis fiscal…
Comment Haropa, les présidents de la Région et de la Métropole, peuvent-ils soutenir une telle
candidature ?
8 - Le bioéthanol une solution ou un pis aller ?
Le site industriel produirait également du bioéthanol par distillation. Le bioéthanol peut être produit
à partir de la mélasse, qui est le sirop de basse pureté issu de la centrifugation, ou à partir de tout le
sirop de sucre. Dans ce dernier cas, il n’y a plus de production de sucre, mais seulement de
bioéthanol.
Utiliser des terres agricoles fertiles pour produire du carburant est une aberration. Les terres
agricoles doivent nourrir les gens, pas les moteurs.
9 - Les vraies fausses démarches vertueuses
Haropa fait l’éloge du projet au motif qu’il produirait aussi du biogaz qui serait recyclé pour faire
fonctionner la chaudière. Quelle nouveauté ! Toutes les sucreries modernes développent ce procédé
de fabrication de biogaz par méthanisation des vinasses et des pulpes.
Et le méthaniseur serait également alimenté par du bois. Vu les quantités nécessaires, il y aurait de
sérieuses tensions sur le marché du bois, déjà très sollicité pour le chauffage des particuliers et les
chaufferies collectives. Où trouvera-t-on le bois manquant ?
10 - Les problèmes environnementaux liés à la culture de la betterave
La culture intensive de betteraves pose de sérieux problèmes environnementaux. Elle nécessite
d’énormes quantités d’intrants chimiques notamment les NÉONICOTINOÏDES tueurs d’abeilles,
interdits au niveau européen en 2018 puis ré-autorisés par le gouvernement français en 2020
(dérogation de trois ans qui peut être prolongée…en attendant les solutions alternatives)
Alors même que chacun sait que la chute de population des abeilles est alarmante et engendrera à
moyen terme des conséquences catastrophiques sur l’écologie et l’agriculture mondiale.
Est-ce ce modèle d’agriculture intensive que nos décideurs souhaitent encore encourager ?
11 - Les autorisations administratives qui modifieraient totalement l’impact du
P.L.U.i sur les villages et les habitants
Enfin, il est important d’indiquer que le projet n’est pas conforme aux dispositions du Plan Local
d’Urbanisme Intercommunal – P.L.U.i – de la Métropole (fig.8), et nécessiterait au moins trois
modifications de ce document, avec consultation et enquête publique.
Figure 8: PLUi -Village de Moulineaux
- Le secteur de 25 ha en aval se décompose en 2 zones à urbaniser (ZAU) avec :
- Une première modification pour la zone 1AU (17 ha environ) prévue actuellement pour
l'accueil d'entrepôts logistiques et non pour une activité industrielle.
- Une deuxième modification pour la Zone 2AU (8 ha environ, fig.9 & 10), prévue pour une activité à venir
non définie mais sur le long terme, et devant maintenant être mobilisée tout de suite pour
cette implantation.
- Ces modifications du PLUI paraissent être en contradiction avec les exigences liées au site
classé de la Boucle de Roumare et dans lequel est situé cet espace naturel de 25 ha.
- Une modification substantielle des hauteurs autorisées en UXI passant de 15/17 mètres à au moins
50 mètres.
Figure 9 : La zone 1AUXI et les habitations à proximité
Figure 10 : Vue sur la zone 2AUX et une partie de la zone 1 AUXi. On peut apercevoir en arrière-plan le château de Trémauville
et l'église de Sahurs
De leur côté, l’État et HAROPA veulent faire avancer le dossier au pas de charge, poussé en cela par
le porteur de projet Dubaïote qui va faire pression en brandissant son plan B qui serait de s’installer
sur le site de Mérida en Espagne si la France lui complique trop la vie. Le préfet pourrait appliquer à
la lettre et voire plus le rapport Guillot, sorti le 17 mars dernier, le même jour que l’annonce du
projet de sucrerie, rapport intitulé « Simplifier et accélérer les implantations d’activités
industrielles. »
Au titre de ce rapport, il faut notamment s’attendre à la suppression de l’inventaire sur un an pour
l’étude faune flore et à l’anticipation de l’enquête publique. Le Préfet userait-il de son pouvoir
renforcé pour faire autorité sur la direction de l’environnement, qui devrait pourtant être la seule
autorité indépendante en matière d’environnement, en application de la directive européenne sur
les études d’impact, et demander à ses services de police d’identifier et de juguler toute opposition.
Cela semble déjà être entré en application avec la visite récente que la police a rendue à notre
association. Mise en garde, intimidation, ou les deux ?
12 - Conclusion
On voit donc que ce projet n’est absolument pas réaliste et que sa concrétisation serait
catastrophique :
- Sur le plan social : Les emplois qui risquent d’être perdus dans le secteur sucrier régional et le
bouleversement des familles habitant sur les communes alentour.
- Sur le plan économique : Il y aurait un risque fort d’affaiblissement des sucreries régionales
et des familles en dépendent. D’autant plus que les moyens publics mis à disposition de ces
entreprises à taille humaine seraient probablement nettement moindre que ceux pour une
entreprise qui se prétendrait être la plus grande d’Europe.
- Sur le plan environnemental qui contrarierait les effets de la politique de protection en
détruisant un site remarquable par la qualité de l’eau et du paysage.
La Métropole rouennaise se veut « capitale du Monde d’Après » ! Elle développe notamment un
projet alimentaire territorial – PAT – qui vise à relocaliser l’alimentation sur son territoire. Ce
projet de méga-sucrerie serait en pleine contradiction !
Notre association n’est pas opposée à la réutilisation des 50 hectares du site Renault par un projet
viable économiquement et socialement, un projet qui respecte l’environnement, les paysages du site
classé de la boucle de Roumare et la qualité de vie des riverains. Mais comment qualifier ce projet
hors d’échelle qui détruirait le milieu de vie de plusieurs milliers d’habitants plus encore que
l’image de marque de la Métropole Rouen Normandie ?
13 Le paysage et le patrimoine de la boucle de Roumare menacés
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